RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Ministre de l'équipement, des transports,

de l'aménagement du territoire, du tourisme

et de la mer

c/Association "Abers et Campagne"

et Société "Lannilis Service Environnement"

 

 

M. DUPUY, AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Président-rapporteur

M. COËNT,

Commissaire du gouvernement

Séance du 29 juin 2004

Lecture du 7 juillet 2004

 

LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE NANTES

(2ème chambre)

Vu le recours enregistré au greffe de la Cour le 9 avril 2004, sous le n° 04NT00464, présenté par le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer;

 

Le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 02-524 du 5 février 2004 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a annulé, à la demande de l'association "Abers et Campagne", l'arrêté du 20 décembre 2001 du préfet du Finistère accordant à la société "Lannilis Service Environnement" un permis de construire pour l'édification d'une usine de valorisation de matières organiques sur le territoire de la commune de Lannilis au lieudit "Langaer" ;

II soutient que

- le Tribunal administratif de Rennes a commis une erreur de droit et une erreur de qualification juridique des faits en écartant le plan d'occupation des sols de la commune de Lannilis pour relever que le lieudit "Langaer" où était envisagée la construction d'une usine de valorisation de déchets était un espace proche du rivage ; le tribunal s'est fondé sur le seul critère de la distance, sans tenir compte de l'environnement du terrain situé sur un plateau agricole n'ayant que peu de liens avec les abers, étroits et encaissés existant sur le territoire communal ;

- le site de Langaer n'est pas visible depuis les rives de l'Aber Wrac'h et ne permet pas une vue directe sur ces dernières ;

- le site de Langaer se situe à 200 mètres du secteur classé de l'Aber Wrac'h, et non en limite de celui-ci comme l'a jugé à tort le tribunal, et n'est couvert par aucune zone de protection particulière ;

- aucun des autres moyens soulevés par l'association "Abers et Campagne" en première instance n'était de nature à justifier l'annulation du permis de construire accordé par l'arrêté du 20 décembre 2001 du préfet du Finistère, ainsi que cela est démontré dans le recours en appel : concernant la qualité de la société "Lannilis Service Environnement" pour demander le permis de construire, la régularité de l'avis de la direction régionale de l'aviation civile et la motivation du permis de construire, il s'en remet au mémoire du préfet du Finistère du 13 octobre 2003 présenté en première instance ; en outre, par l'application combinée des articles L.421-2-1, 8.421-33, 8.421-36 et 8.490-3-1° du code de l'urbanisme, le préfet du Finistère était bien compétent pour délivrer le permis de construire dès lors que l'usine, en traitant des déchets organiques, produira de l'énergie thermique et électrique qui n'est pas principalement destinée à être utilisée par le producteur, mais sera revendue à Electricité de France; les documents photographiques produits dans le volet paysager figurant au dossier de la demande initiale de permis de construire permettaient bien de mesurer l'impact visuel du projet et si ce volet paysager ne présentait pas l'insertion finale du projet dans l'environnement, c'est en raison de la modification des dispositions relatives à l'insertion paysagère à la suite des recommandations de la commission départementale des sites, perspectives et paysages ; le projet a fait l'objet d'une enquête publique dans le cadre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, ce qui a assuré l'obligation de mise à disposition du public instituée par l'article 6 de la directive du conseil n° 85/337/CEE du 27 juin 1985 modifiée et la modification ultérieure du projet, visant une meilleure intégration de celui-ci dans l'environnement, n'a pu remettre en cause la régularité de cette consultation ; enfin, l'usine dont l'activité dépend directement de la production des exploitations agricoles locales est liée aux activités agricoles au sens des dispositions de l'article L. 146-4-I 2ème alinéa du code de l'urbanisme et, dès lors qu'elle était incompatible avec le voisinage des zones habitées, pouvait être autorisée en dehors d'un espace proche du rivage sur le territoire de la commune littorale de Lannilis, de même que dans la zone NC du plan d'occupation des sols de la commune;

 

Vu le jugement dont il est demandé le sursis à exécution ;

 

Vu le mémoire en défense enregistré comme ci-dessus le 28 mai 2004, présenté pour l'association "Abers et Campagne", représentée par son président en exercice, dont le siège est au lieudit "Le Bergot" 29870 Lannilis, par Me Le CORNEC, avocat au barreau de Quimper;

L'association "Abers et Campagne" conclut au rejet du recours susvisé, à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L..761-1 du code de justice administrative, et à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer de produire un exemplaire en couleurs du reportage photographique annexé à son recours ;

Elle déclare ne pas reprendre le moyen de première instance relatif à l'incompétence du préfet pour signer le permis de construire et soutient, en outre, que

- l'absence de bordereau récapitulatif des pièces jointes au recours du ministre nuit à la procédure contradictoire ;

- le reportage photographique, produit par le ministre à l'appui de son recours n'est pas exploitable et le respect du contradictoire implique qu'il soit enjoint au ministre de produire des photographies en couleurs ;

- le ministre n'établit pas que son directeur de cabinet, qui a signé le recours, avait bien compétence pour le faire ;

-le ministre ne développe qu'un seul moyen à l'appui de son recours à fin de sursis à exécution relatif au motif d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Rennes lequel n'a pas précisé dans son jugement, en violation de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, qu'il ne retenait que ce moyen d'annulation ; l'expiration du délai d'appel interdisant au ministre de présenter de nouveaux moyens dans cette instance, il sera réputé avoir acquiescé aux autres moyens développés par l'association en première instance ;

 

- l'arrêté du 20 décembre 2001 du préfet du Finistère accordant à la société "Lannilis Service Environnement" un permis de construire pour l'édification d'une usine de valorisation de matières organiques ne respecte pas les dispositions de l'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme, dès lors qu'il a pour objet d'autoriser la réalisation d'une opération d'urbanisation en discontinuité avec les agglomérations et hameaux existants sur la commune de Lannilis, classée littorale du fait de la présence sur son territoire d'abers compris pour partie en-deçà de la limite transversale de la mer;

 

- l'opération ne peut non plus être autorisée sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme qui admet, dans les communes littorales, en dehors des espaces proches du rivage, la construction d'installations liées aux activités agricoles ou forestières incompatibles avec le voisinage de zones habitées car l'usine de valorisation de matières organiques dont l'édification a été autorisée par l'arrêté contesté ne peut être regardée comme une installation liée à l'activité agricole, le seul motif que les matières premières utilisées proviennent de déchets d'exploitations agricoles n'étant pas, à cet égard, suffisant; cette usine, qui sera exploitée par une société anonyme inscrite au registre du commerce et des sociétés et non par un agriculteur, dont l'objet consiste à produire de l'électricité et des engrais organiques selon un procédé industriel, relève de la catégorie des activités industrielles, ainsi que l'indique la demande de permis de construire; le projet est en tout état de cause implanté dans un espace proche du rivage, dès lors

Vu le mémoire enregistré comme ci-dessus le 9 juin 2004, présenté pour la société "Lannilis Service Environnement", représentée par ses dirigeants légaux en exercice, dont le siège social est Z.I Menez Bras 29870 Lannilis, par Me SEZE, avocat au barreau de Nantes ; la société "Lannilis Service Environnement" conclut à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 5 février 2004 du Tribunal administratif de Rennes ;

Elle soutient que

- l'usine de valorisation des matières organiques dont la réalisation a été autorisée par l'arrêté du 20 décembre 2001 du préfet du Finistère est bien liée aux activités agricoles puisqu'elle a pour objet de transformer, pour les éliminer, les matières organiques provenant des élevages de porcs et de poulets environnants et qu'elle achève ainsi le cycle de ces productions animales, l'exploitation de l'énergie produite par ce processus étant accessoire ; son activité est en outre indispensable à la survie des exploitations agricoles du secteur qui ne disposent plus de capacité suffisante pour épandre leur lisier; elle répond donc bien aux conditions du second alinéa de l'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme et relève également des occupations du sol autorisées dans la zone NC du plan d'occupation des sols de la commune de Lannilis ;

- le jugement contesté a considéré à tort que le projet se situait dans un espace proche du rivage dès lors, d'une part, que le plan d'occupation des sols de la commune de Lannilis, qui n'a jamais été contesté, ne classe pas le site concerné en espace proche du rivage, d'autre part, qu'il n'y a aucune co-visibilité entre les rives de l'Aber Wrac'h et le site d'implantation du projet en raison d'un dénivelé important ; l'environnement du projet, qui comprend des bâtiments d'exploitations agricoles, ne présente aucun caractère remarquable et le projet ne constitue à son égard aucune menace ;

- en ce qui concerne les moyens soulevés en première instance relatifs à l'absence de qualité du pétitionnaire pour demander la délivrance du permis de construire et à l'irrégularité de l'arrêté de permis de construire, elle s'associe à la défense présentée par le préfet en première instance ; sur le dernier moyen, elle souligne le caractère non dérogatoire du permis de construire accordé, dès lors qu'il correspondait à un cas prévu par la loi elle-même;

- le volet paysager de la demande de permis de construire, qui a été complété pour prendre en compte les prescriptions supplémentaires imposées par le préfet, était conforme aux prescriptions de l'article R. 421-2 du code de l'urbanisme;

- l'article 6 de la directive du conseil n° 85/337/CEE du 27 juin 1985 a été respecté, dès lors que le projet a fait l'objet d'une enquête publique dans le cadre de la législation sur les installations classées et les modifications apportées au projet postérieurement à cette consultation du public constituaient des améliorations pour l'environnement;

 

Vu le nouveau mémoire en défense enregistré comme ci-dessus le 11 juin 2004, présenté pour l'association "Abers et Campagne" ;l'association "Abers et Campagne" conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire, par les mêmes motifs ;

 

Elle soutient, en outre, que l'intervention de la société "Lannilis Service Environnement" doit être déclarée irrecevable dès lors, d'une part, que cette société, partie en première instance, avait qualité pour former appel et que ses conclusions sont tardives car présentées au-delà du délai d'appel, d'autre part, qu'elle n'indique pas son siège social dans sa requête ;

 

Vu le mémoire en réplique enregistré comme ci-dessus le 23 juin 2004, présenté par le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de mer ; le ministre conclut aux mêmes fins que son recours, par les mêmes moyens;

 

Il soutient, en outre, que :

 

- le directeur de cabinet avait compétence pour signer les recours en appel et en sursis à exécution en application d'un arrêté du 1" avril 2004, publié au journal officiel du 4 avril 2004, lui accordant délégation de signature ;

-son recours comportait, en en-tête, une liste des pièces jointes, au titre desquelles figurait un jeu de photographies en couleurs, et l'absence de bordereau récapitulatif ne peut nuire à la régularité de la procédure ;

- une copie de la requête d'appel, jointe à la requête à fin de sursis, comportait la démonstration que les moyens soulevés en première instance, à l'appui du recours en annulation n'étaient pas fondés ;

- le projet constitue bien une installation liée aux activités agricoles au sens voulu par le législateur, qui en décidant la dérogation énoncée à l'alinéa 2 de l'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme, n'a pas entendu la limiter aux installations nécessaires aux activités agricoles comme tente de le démontrer l'association "Abers et Campagne", dès lors que l'usine traitera les déchets provenant des exploitations agricoles voisines qui représenteront 75 % des matières traitées ;

-le terrain d'implantation du projet ne se situe pas dans un espace proche du rivage, dès lors qu'il n'y a aucune co-visibilité entre celui-ci et les rivages de l'Aber Wrac'h en raison de la topographie des lieux;

- le permis de construire accordé en application des dispositions prévues par le 2ème alinéa de l'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme ne devait pas être motivé, non plus que les avis qui ont précédé sa délivrance, dès lors qu'il ne dérogeait pas à un texte général ;

 

Vu, enregistré comme ci-dessus le 20 avril 2004, sous le n° 04NT00463, le recours présenté par le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer et tendant à l'annulation du jugement n° 02-524 du 5 février 2004 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a annulé, sur la demande de l'association "Abers et Campagne", l'arrêté du 20 décembre 2001 du préfet du Finistère accordant à la société "Lannilis Service Environnement" un permis de construire pour l'édification d'une usine de valorisation des matières organiques ;

 

Vu les autre pièces du dossier

Vu le code de l'urbanisme;

Vu le code de justice administrative ;

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 juin 2004

- le rapport de M. DUPUY, président,

- les observations de Me Le CORNEC, avocat de l'association "Abers et Campagne",

- les observations de Me SEZE, avocat de la société "Lannilis Service Environnement",

- et les conclusions de M. COËNT, commissaire du gouvernement;

 

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du Jugement attaqué

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par l'association "Abers et Campagne"

Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-14 du code de justice administrative : "Sauf dispositions particulières, le recours en appel n'a pas d'effet suspensif s'il n'en est autrement ordonné par le juge d'appel (...)" ; qu'aux termes de l'article R. 811-15 du même code : "lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement" ;

Considérant que le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer demande à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 5 février 2004 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a, sur la demande de l'association "Abers et Campagne", annulé l'arrêté du 20 décembre 2001 du préfet du Finistère autorisant la société "Lannilis Service Environnement" à construire une usine de valorisation de matières organiques au lieudit "Langaer", sur le territoire de la commune de Lannilis, au motif que le ,projet autorisé méconnaît les dispositions dérogatoires du 2eme alinéa de l'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme, dès lors que le terrain d'assiette du projet autorisé est situé dans un espace proche du rivage ;

 

Considérant qu'aucun des moyens invoqués par le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer à l'appui de ses conclusions dirigées contre le jugement du 5 février 2004 du Tribunal administratif de Rennes et notamment, celui tiré de ce qu'en estimant que le terrain d'assiette du projet autorisé constituait un espace proche du rivage au sens des dispositions de l'article L. 146-4-I du code de l'urbanisme, le tribunal administratif a entaché le jugement attaqué d'une erreur de droit et d'une erreur de qualification juridique des faits, ne paraît, en l'état de l'instruction, de nature à justifier, outre l'annulation de ce jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation pour excès de pouvoir accueillies par ce même jugement; qu'il suit de là que les conclusions du ministre tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de Justice administrative

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'État à verser à l'association "Abers et Campagne" une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

 

DÉCIDE

 

Article 1er : Le recours du ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer est rejeté.

 

Article 2 : L'État versera à l'association "Abers et Campagne" une somme de 1 000 euros (mille euros) au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, à l'association "Abers et Campagne", à la société "Lannilis Services Environnement" et à la commune de Lannilis (Finistère).

 

 

Délibéré à l'issue de la séance du 29 juin 2004, où siégeaient

M. DUPUY, président de chambre, Mme WEBER-SEBAN, M. ARTUS, premiers conseillers;

Prononcé en audience publique, le 7 juillet 2004.

L'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau, C. WEBER-SEBAN

Le président-rapporteur,R.C DUPUY

Le greffier, Y. LEWANDOWSKI

La république mande et ordonne au ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.